• La Porte de la Mort Incandescante

       Wilheim regardait la bâtiment en face de lui. L'écrasante chaleur du mois d'aout renforçait l'aura impressionnante qui s'en dégageait. Il jetta un rapide coup d'oeil à la forme sombre qui slalomait furtivement entre ses jambières d'ébonite.
    « _Ma chère Gallie, nous n'allons pas laisser le doute et la peur nous submerger si prêt du but ? Lui adressa-t'il avec un petit sourire en coin.
       La petite créature lui repondit par un petit cri, proche du miaulement, avec une saturation à peine prononcée lui donnant un très léger grain à la fois intrigant et appaisant, avant d'aller se blottir dans une des poches interieures aménagée à cet effet de son long manteau en cuir noir. Wilheim sourit de manière résolue en glissant sa main, tout juste dégantée pour l'occasion, dans sa poche et gratta quelques instants derrière les oreilles de Gallie, fermant les yeux et s'enivrant de la sensation bienfaisante et calmante que cela procurait au petit animal.
       Il fit le vide en lui, respira calmement, et reprit sa route sur le pont d'accès à l'entrée de la forteresse du Roi Lenaïk. Le pont s'étirait sur une centaine de mètres, enjambant le Fleuve Euslair, le plus long et large du continent. Sur quelques centaines de mètres, le Fleuve s'ouvrait en deux, comme un oeil, sur un îlot sur lequel était construite la forteresse. Wilheim ne reconnu sur le pont, pas plus que sur aucune autre construction du domaine par ailleurs, la griffe d'aucun tailleur de pierres ou architecte qu'il avait déjà rencontré. Les pierres avaient la couleur de la craie, ainsi que sa douce texture satinée, mais elles étaient aussi dures et solides que le diamant, et chacune d'entre elle était, en un endroit, frappée du Sceau de la Famille Royale: une spirale aux courbures anguleuses. S'il n'avait pas su que cette forteresse avait été construite plusieurs siècles auparavent, son propre jugement aurait indiqué à Wilheim qu'il était flambant neuf. Tout les cinq mètres, de part et d'autre du pont, croissaient des buissons aux branches rouges et au feuillages violacés impeccablement taillés. Wilheim ne les reconnu pas plus que les pierres, mais ces buissons lui imposèrent un profond sentiment de respect, certainement pas étranger aux esprits virevoltant dans les branches de certains qu'il jura apercevoir du coin de l'oeil, comme une fugace illusion insensée. Mais la détermination l'emporta à la fois sur la curiosité et sur l'émerveillement, et Wilheim mit toutes ses questions en suspend dans un coin de son esprit, les rangeant telles des parchemins dans une bibliothèque déjà richement fournie.
       Wilheim fouilla ses poches à la recherche de la missive qui l'amenait. Il apposa ses paumes sur son manteau, au niveau des premières poches situées sur ses pectoraux, et entreprit de palper chacune d'entre elles, jusqu'à sentir ce qu'il cherchait. On pu voir son visage refléter tour à tour les souvenirs de joies, de mélancolies ou de fiértés passées à mesure qu'il passait tactilement en revue le bric-à-brac qu'il rencontrait sous ses mains. Il prit également soin de ne pas déranger Gallie plus que par une légère caresse frollée en passant sur la poche qui l'abritait. Il sourit une nouvelle fois en réalisant que, comme bien souvent, ce qu'il cherchait était dans la dérnière poche qu'il explora. Il sortit la petite lettre au sceau de cire déjà rompu, et en extirpa le contenu. C'était une feuille d'un papier d'une blancheur immaculée, aussi souple que de la soie, à peine plus épaisse qu'une feuille de brique, et à peine moins résistante qu'une feuille d'acier. L'ecriture qui y était aposée d'une encre noire comme le jais était propre et régulière, chacune des lettres étant impeccablement caligraphiée dans le plus pur style gothique. Même le plus aguerrit des graphologues n'aurait pu en tirer plus que ce qu'elles écrivaient, tant leur froide perfection semblant être le fruit d'une machine et non d'un homme. Une frise d'une rigueur mathématique reprenant le Sceau Royal ornait tout le tour de la lettre, focalisant, comme si la qualité de l'ecriture n'avait pas suffit, encore d'avantage l'oeil du lecteur sur le message écrit en son coeur:

    « Chevalier Wilheim,

    Le roi Lénaïk Premier vous convie, par la présente, à un entretient particulier avec Sa Personne, au cinquième jour d'aout, dans la bibliothèque privée de ses appartements.

    Respectueusement,
    Sharlah'k, Scirbe Personnel de Sa Majesté; »


       Le message était certes succint et impersonnel, mais, s'il était déjà rarissime de pouvoir apercevoir le Roi, de son vivant, de ses propres yeux, on ne pouvait que se sentir honnoré qu'il daigne vous recevoir dans ses appartements, et de surcroît dans sa bibliothèque personnelle ! On racontait qu'elle renfermait des documents si précieux et rares que leur seule lecture pouvait apporter l'omniscience, l'omnipotence, ou la béatitude éternelle qui aurait fait sombrer l'esprit trop faible dans une folie contemplative le consummant juqu'à la mort. Laquelle survenait d'ailleurs très peu de temps après généralement, du fait que le lecteur, subjugué et confronté à ses propres faiblesses en oubliait de repondre à quelque besoin élémentaire nécessaire à sa survie. Wilheim ignorait pourquoi il avait été convié, et ses sentiments oscillaient de la fiérté à la crainte, en passant par les doutes, mais une fois de plus, il chassa toutes ses idées en caressant brièvement Gallie dans sa poche, qui eut un adorable petit frisson au contact de sa main.
       Wilheim n'était plus qu'à quelques mètres de l'entrée ouest de la forteresse lorsqu'il jetta un rapide coup d'oeil en bas du pont. La forteresse était reputée imprenable, et ce n'était pas la vision des gigantesques créatures aquatiques serpentiformes bardées de piques, dents, ou autres mortelles rejouissances dormant semi-immergées à quelques mètres du pont qui allaient faire mentir cette réputation. On voyait aussi quelques entités aqueuses aux formes vaguement féminines danser en riant sur la surface de l'eau. Elles venaient parfois tourmenter les monstres endormis d'une pichenette sur leurs nasaux, ce qui avait pour propriété de les reveiller et de les rendre hors d'eux. Les reptiles géants essayaient alors de briser les troubles paix entre leurs puissantes et redoutables mâchoires, mais toujours en vain, les entités étant bien trop rapide et agiles pour se laisser prendre. Ces dernières possedaient en outre l'etrange faculté de pouvoir revêtir la consistance de l'eau à volonté, pour se reformer qulques mètres plus loin, d'humeur plus tourmenteuse et espiègle encore. L'eau du Fleuve était d'une clareté que rien ne semblait pouvoir troubler, pas même les nombreux et variés animeaux fouisseurs tout affairés à fouiller la vase que l'ont voyait aussi distinctement que s'ils étaient à l'air libre. Les seuls endroits où l'on ne distingait pas le fond étaient les zones dont la surface était recouverte d'énormes plantes aquatiques plates arborant une fleur étrangement mobile, aux pétales altérnant le rouge, le noir et le blanc. Ces fleurs attiraient de nombeux insectes volants, ou autres oiseaux, par un enivrant parfum sucré portant l'exquise promesse d'un copieux repas. Une fois ces avides imprudents posés sur la fleur, celle-ci se réfermait sur eux, et les digérait quasi instantanément grâce au puissant acide qu'elle secrétait en son sein. Des nombreuses plantes filliformes ornaient également la berge non fortifiée du fleuve, elles étaient recouvertes d'épines acerrées et leurs têtes étaient terminées par un pinceau de poils collants dans lesquels venaient s'engluer et mourir de faim, faute de pouvoir s'en dépetrer, toute créature assez folle pour s'estimer digne de quitter la relative sécurité du milieu terrestre. Le Fleuve aimait voir chaque chose à sa place, et il oeuvrait activement à faire respecter cette lubbie.
       Wilheim se trouvait maintenant devant la porte d'entrée de la forteresse. C'était une lourde double-porte d'obsidienne dont chacun des imposants, et apparament immobiles battants, était estampillé d'un grand Sceau Royal stylisé entouré de cinq visages. La porte de gauche présentait un visage riant aux larmes; un visage souriant de manière rassurante; un visage à l'air surprit et interrogateur, un peu perplexe; un visage calme et stoïque; et un visage affichant une résolution déterminée. La porte de droite, quant à elle, présentait un visage en colère; un visage terrifié; un visage d'une profonde et touchante tristesse; un visage au sourire mesquin et diabolique; et un visage maccabre, innexpressif et anéantit. Wilheim avait déjà entendu parler de cette porte, et il savait qu'outre sa fonction essentielle de barrière de la forteresse, elle possédait deux roles plus subtilement symbolliques. Le premier était de rappeler aux visiteurs, amis comme ennemis, que l'on trouvait toujours ce que l'on venait chercher ici. Que l'on cherche une solution pacifique à un problème, ou plus béliqueuse. Le deuxième rôle était beaucoup plus curieux, et remontait à une tradition ancestrale de la lignée royale.
    Le Roi possédait, dans sa propre suite, un couple d'une espèce disparut d'insectes volants, appelés des « Mangeuses de Rêves », rendu immortel par quelque obscur sortilège connu uniquement des plus sages des Mages du Roi depuis des générations. Ces insectes, à l'espérance de vie réduite à deux jours, possèdaient un don étonnant, qui causa leur extinction. Leurs larves se nourrissaient exclusivement d'émotions humaines ressenties lors du sommeil, qui se cristallisaient dans leurs cocons, imprégant les futures Mangeuses de Rêves. Sortant de leur entraves de soie, elles cherchaient par tout les moyens à localiser une source de l'émotion prédominante baignées dans laquelle elles avaient grandie, avec une nette préférence pour celles émannant de l'humain cottoyé pendant leur état larvesque. Une fois leur cible trouvée, l'insecte se posait dessus et se consummait tout un jour et toute une nuit, irradiant l'émotion concernée autour d'elle, dans le but d'attirer un partenaire pour se reproduire. Au bout d'un jour et une nuit, si aucune autre Mangeuse de Rêves n'avait repondu à cet appel, la première était réduite en poussière, brulée par la passion.
       La première, et à ce jour seule, guerre qui secoua l'ensemble du continent fût d'une telle violence et d'une telle sauvagerie, que la douleur et la mort étaient pérceptibles quasi-physiquement, et hantaient les rêves de tous, quel qu'ait pu être leur camp. Aucun des territoires où pullulaient les Mangeuses de Rèves, qui étaient par nécessité ceux où pullulait l'Homme, n'avait été épargné. Un beau matin, tout les insectes sortirent de leur cocon et brulèrent sur place, donnant un journée sans ombre et une nuit sans obscurité. On racontait que nul être humain encore en vie de tout le continent ne fût épargné par la sensation de douleur intense qui rayonnait de l'ensemble des Mangeuses de Rêves mourantes applelant désespèrément un partenaire non moins occupé à mourir. Même les généraux les plus endurcis qui commandaient chacune des parties impliquées s'effondrèrent tous en pleurant comme des nourissons arrachés à leur mère en réalisant l'atroce et tangible réalité découlant de leurs ordres. Ainsi, la disparition de toute une une espèce permit une prise de conscience collective, sur la base de laquelle furent signés nombres de traités de paix, de pactes de non-agression, et d'accords visants à impliquer le minimum de non-combattants dans les conflits armés. Tout les ans depuis, à la même date, le 19 ème jour de mars, était célébrée la « Fêtes des Morts Ardents ». A cette occasion, de nombreux feux étaient allumés un peu partout sur le continent et étaient maintenus en flamme un jour et une nuit durant. En cette date, les gens rendaient positivement hommage à leurs morts tombés sous la cruauté du combat, par d'interminables banquets dansants bien arrosés.
       Toujours est-il que les orbites vides de chacun des visages de la porte était enchanté avec chacune des émotions correspondantes prélevées sur le Monarque en fonction. Ainsi, chaque matin, dans la petite volière au barreaux épais comme des cheveux installée au chevet du Roi, le couple de Mangeuses de Rêves pondait un oeuf. Vers la fin de l'aprè-midi, une larve en sortait, qui se nourrissait toute la nuit des songes du Souverain et tissait un cocon au petit matin. Les premières rayons de soleil faisaient sortir une Mangeuse de Rêves adulte qui s'envolait à tire d'aile illuminer le visage reflétant le plus l'humeur de la journée du Roi. Grâce à cela, et même s'il était rare pour un habitant de Xeliandre, la Cité Royale, de rencontrer le Roi en personne de son vivant, nul ne pouvait nier connaître son état d'esprit, jour après jour.
    Wilheim ne sut s'il devait être rassuré ou inquiété de voir que c'était le visage surprit et interrogateur qui brulait. Mais son viage imita bientôt celui de la porte. La demi-douzaine de Gardes Personnels du Roi, l'élite des combattants du Royaume, qui assuraient leur tour de garde à cet instant, semblaient attendre Wilheim. Ils lui ouvrirent la porte en l'invitant à pénétrer l'enceinte de la forteresse à grand renfort de saluts révérencieux.
       Wilheim s'exectuta sans demander son reste, stupéfait.


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